Le Parfum
Il y a des matins où il grogne, me repousse du coude et s'affale sur la canapé en grommelant "dessin animéééé..."
Et d'autres où il monte sur mes genoux, et se blottit contre moi. Ce matin, le nez dans ses cheveux, essayant de fixer dans ma mémoire ce moment fugace, un passage du Parfum, de Patrick Süskind, m'est revenu :
"La nourrice hésitait. Elle savait bien quelle odeur avaient les nourrissons, elle le savait parfaitement bien, ce
n'est pas pour rien que par douzaines elle en avait nourri,
soigné, bercé, embrassé... Elle était capable, la nuit, de les trouver rien qu'à l'odeur et, à l'instant même, elle avait très précisément cette
odeur de nourrisson dans le nez. Mais jamais encore elle
ne l'avait désignée par des mots.
- Eh bien ? aboyait Terrier en faisant claquer le bout
de ses ongles.
- C'est que, n'est ce pas, commença la nourrice, ce
n'est
pas très facile à dire, parce que... ils ne sentent
pas partout pareil, quoiqu'ils sentent bon partout, mon
Père,
vous comprenez... Prenez leurs pieds, par exemple, eh
bien, là ils sentent comme un caillou lisse et chaud; ou bien
non, plutôt comme du fromage blanc... ou comme du beurre, comme du
beurre
frais, oui, c'est ça : ils sentent le beurre frais. Et le reste du corps sent comme... comme une galette qu'on a
laissé tremper dans le lait. Et la tête, là, l'arrière de la tête, où les cheveux font un rond, là, regardez, mon Père, là où vous n'avez plus rien...
Et comme Terrier, médusé par ce flot de sottises minutieusement détaillées, avait docilement incliné la tête, elle tapotait sa calvitie.
-... c'est là, très précisément qu'ils sentent le plus bon. Là, ils sentent le caramel, cela sent si bon, c'est une odeur si merveilleuse, mon
Père, vous n'avez pas idée ! Quand on les a sentis à cet endroit là, on les aime, que ce soient les siens ou les enfants des autres. Et c'est comme ça et pas autrement, que doivent sentir les petits enfants."